Actualités

2 juillet 2024

Législatives dans la Somme : à Etouvie, entre peur du RN et désintérêt pour la politique

Au rez-de-chaussée d’une barre d’immeuble, dans une salle de centre de loisirs décorée de dessins d’enfants, ce lundi 1er juillet, le petit groupe échange avec animation. Ces habitants d’Étouvie – surtout des femmes – discutent d’un projet de barque photovoltaïque pour relier leur quartier isolé au centre-ville d’Amiens. Ça discute volontiers, ça vote aussi. Dans cette ambiance de démocratie participative, le ton change quand on parle des élections législatives.

Historiquement, le quartier vote moins que le reste de la Somme. Mais avec 47 % de participation cette fois (contre 67 % dans le département), elle fait un bond par rapport aux quelques 33 % des élections législatives de 2022. Pourtant, ça ne tient pas à grand-chose pour Enrika : « Je suis allée voter parce que mon travail [d’agente d’entretien, ndlr] me le permettait cette fois. » Elle ne s’astreint pas à participer, car elle juge que « de toute façon, on va droit dans le mur, Etouvie est laissée à l’abandon et c’est dur de se faire comprendre« . Elle suit les résultats de loin et pense que « ça ne sera pas comme c’était annoncé » au premier tour.

Crainte d’un racisme « décomplexé »

Contrairement à Marjorie, qui vit ici depuis six ans. Par crainte du score du Rassemblement National, elle qui n’est pas habituée des scrutins a voté. Cette fois, elle est « inquiète » en tant que femme musulmane, qui porte le voile, et mère de deux enfants avec les nationalités française et algérienne. Pour la première fois, deux bureaux de vote du quartier ont placé le RN en tête. La gauche, représentée par le Nouveau Front Populaire lors de ce scrutin, reste devant mais perd du terrain à Etouvie.

Marjorie reconnait que « il n’y a pas de racisme dans le quartier mais j’ai peur que la victoire du RN fasse de plus gros conflits« . Elle ira voter pour le second tour « car on a peur« , sans savoir encore pour quel candidat. Dans ce quartier populaire, elle est un exemple de la participation croissante lors des élections.

Vote ou pas ?

Si cela ne se ressent pas dans le quartier, Myriam, mère sans emploi et résidente depuis quinze ans à Etouvie, avance une explication : « Je pense que les gens veulent la paix et la sécurité sur tous les territoires alors ils se tournent plus facilement vers l’extrême-droite parce qu’ils pensent qu’elle va apporter plus de sécurité« . Elle n’a jamais voulu s’inscrire sur les listes électorales, elle ne vote pas mais elle suit régulièrement l’actualité politique, se disant « intéressée par la campagne d’Emmanuel Macron en 2017, avec le vote blanc« , promesse qui n’a jamais vu le jour.

À l’inverse, Laetitia ne connaît ni le nom des candidats, ni le mode de scrutin. Elle ne s’est jamais intéressée à la politique, estimant que personne ne représente ses idées, à savoir « la hausse des APL, la baisse des loyers et la baisse du prix des courses« . Même si la participation a augmenté à Etouvie, elle n’a pas constaté davantage de débats dans son voisinage autour de la politique. Le vote reste tabou, « les gens ne disent pas pour qui ils votent, peut-être qu’ils ont peur des représailles« .

Un maillage social affaibli

Pour le président de l’APAP, association qui intervient à Etouvie et Amiens-Nord, « quand on est pris dans de grandes difficultés, les gens ont tendance à se replier sur leur cercle familial » pouvant expliquer le vote pour le RN. Patrice Eloy constate aussi que de « la méfiance » s’est installée, surtout depuis les violences urbaines de 2023, s’ajoutant à « un maillage social atteint dans ses forces vives, ce qui permettait de relier les gens« , tout ça « s’est affaibli« .

L’association n’est pas une organisation militante mais elle est « préoccupée » par la réalité du score du RN et son impact sur les quartiers où elle intervient.

 

France Bleu PicardieThéo Boscher  – Mardi 2 juillet 2024 à 5:00

Une des barres d’immeuble d’Étouvie, quartier populaire de la ville d’Amiens. © Radio France – Theo Boscher